Représentant du Peuple aux Armées. Planche 11 de la collection L'Armée Française et ses Alliés 1792-1815 par Jacques Domange.

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Jacques Domange
- Planche 11 -

Par décret du 30 avril 1793, la Convention nationale consacrait officiellement aux commissaires auprès des armées le titre de représentants du peuple envoyés près de telle armée et leur donnait mission de « nommer aux emplois vacants » de concert avec les généraux ; « d'exercer la surveillance la plus active sur les opérations des agents du pouvoir exécutif, de tous les fournisseurs et entrepreneurs des armées ; la conduite des généraux, officiers et soldats ; l'état de défense et d'approvisionnement de -toutes les places, forts, ports, côtes, armées et flottes de leur division. » Ils devaient prendre « toutes les mesures nécessaires pour accélérer l'armement, l'équipement et l'incorporation des volontaires et recrues dans les cadres existants » ; ils avaient droit de « requérir les gardes nationaux » pour renforcer les armées ; « les corps administratifs, et tous agents civils et militaires » pour suspendre et arrêter les agents militaires ou fonctionnaires. Ils devaient adresser chaque jour au Comité de salut public « le journal de leurs opérations. »

Les représentants du peuple aux armées étaient militarisés. Ils avaient un uniforme fixé par le décret du 30 avril et, celui du 13 juin leur attribuait « deux chevaux de luxe enharnachés et des armes pendant la durée de leur commission. »

Citons parmi les plus célèbres ceux qui eurent une conduite héroïque aux armées : Albitte, Bourbotte, Carnot, Châteauneuf-Randon, Dubois-Crancé, Duquesnoy, Florent-Guiot, Foussedoire, Garrau, Gillet, Guyton-Morveau, Hentz, Lacombe Saint-Michel, Lacoste, Laurent, Le Bas, Le Tourneur, Levasseur, Merlin (de Thionville), Milhaud, Ricord, Robespierre (le jeune), Saint-Just, Saliceti, Soubrany.

Certains auteurs, anciens et actuels, ont finement ironisé sur les qualités et la tenue des représentants du peuple. Il est cependant incontestable que beaucoup d’entre eux montrèrent plus de courage dans les combats que certains généraux incapables et corrompus. Quant à leur tenue, elle fut moins ridicule que celles portées plus tard par quelques officiers généraux.

Nous représentons sur cette planche un sabre de représentant du peuple aux armées. La garde en laiton est à double branche, dont une s'épanouissant en plateau. Il est à pièce de pouce. Fourreau en tôle d'acier à deux garnitures de laiton décorées en ronde bosse de scènes militaires. Il existe de nombreux modèles de ces sabres.

Au centre, Saint-Just d'après une huile sur toile de l'ancienne collection X.

Louis, Antoine de Saint-Just naquit à Decize (Nièvre), le 25 août 1767. Il était le fils d'un ancien officier de cavalerie qui quitta bientôt le Nivernais pour s'établir à Blérancourt (Aisne). En 1789, il se fit l'apôtre des idées de la Révolution et fut élu, le 2 septembre 1792, député de l'Aisne à la Convention.

Dans le procès de Louis XVI, il vota contre l'appel au peuple, pour la mort et contre le sursis. En janvier 1793, il soutint le projet de Dubois-Crancé sur l'organisation de l’armée, et se prononça pour l'élection des officiers, la nomination du général en chef par la Convention, en suspendent toutefois l'exécution dans les armées trop près de l'ennemi. Le 9 mars 1793, il fut chargé, avec Deville, de surveiller le recrutement des 300 000 hommes dans les départements de l'Aisne et des Ardennes.

Le 24 avril il partit à la tribune pour combattre le projet de constitution déposé par Condorcet. Le 50 mai, il entra au Comité de salut public. Il ne prit aucune part dans la lutte entre les Montagnards et les Girondins mais, après la chute de ces derniers, il se montra comme le très humble serviteur de Robespierre bien que le dominant de très haut comme capacités, comme talent et comme caractère.

Le 10 juillet, il fut réélu au Comité de salut publie. Un arrêté du Comité du 16 octobre, le désigna pour une mission à l'armée du Rhin avec son ami Philippe Le Bas. Il s'agissait de délivrer Landau et de débloquer les lignes de Wissembourg. Le 1er brumaire an II (22 octobre 1793), les représentants firent leur entrée à Saverne. Le même jour, la Convention confirmait par décret l'arrêté du 16 octobre et étendait les pouvoirs de Saint-Just et de Le Bas. Le 2 brumaire, ils arrivèrent à Strasbourg. Saint-Just fut surpris et encore plus scandalisé de croiser dans la ville des soldats déguenillés qui, excités par les braillards des clubs, n’étaient pas loin de se mutiner ; qui méprisaient les officiers, les tenant, non sans raison, pour les premiers responsables de nos défaites.

Telle était cette armée du Rhin indisciplinée, sans moral et souffrant de la faim lorsque Saint-Just lança sa première proclamation.

« Les Représentants du Peuple, envoyés extraordinairement à l'armée du Rhin, aux soldats de cette armée : Nous arrivons et nous jurons, au nom de l'armée, que l'ennemi sera vaincu. S'il est ici des traîtres et des indifférents même, à la cause du peuple, nous apportons le glaive qui doit les frapper. Soldats, nous venons vous venger et vous donner des chefs qui vous menèrent à la victoire. Nous avons résolu de chercher, de récompenser, d'avancer le mérite et de poursuivre tous les crimes quels que soient ceux qui les aient commis. Courage! brave armée du Rhin, tu seras désormais heureuse et triomphante avec la liberté. Il est ordonné à tous les officiers et agents quelconques du gouvernement de satisfaire sous trois jours aux justes plaintes des soldats. Après ce délai, nous entendrons nous-mêmes ces plaintes et nous donnerons des exemples de justice et de sévérité que l'armée n'a point encore vus. »

Aussitôt, Saint-Just et Le Bas écrivent au Comité pour réclamer des renforts et des armes. Le 2 brumaire en II (23 octobre 1793), Hoche avait été nommé commandant en chef de l’armée de la Moselle. Il en prit le commandement le 12 brumaire (2 novembre). L'armée du Rhin commandée par Pichegru depuis le 6 brumaire (27 octobre), était en réalité sous les ordres de Saint-Just. En un mois, il accomplira le miracle de remettre sur pied une armée tout entière, une armée malade, démoralisée et affamée.

Le 28 brumaire (18 novembre), les armées républicaines attaquèrent. A la Wantzenau, à Reichstett, à Brumath, à Hochfelden, à Bouxwiller. Les Autrichiens furent mis en déroute. Hoche entra à Deux-Ponts. Saint-Just et Le Bas écrivirent en hâte au Comité pour lui annoncer cette victoire. Peu de jours après ils filèrent à toute allure sur Paris, pour y prendre les directives du Comité qui étendra leurs pouvoirs à l'armée de la Moselle. Après un séjour de trois jours à Paris, ils reprirent la route de l’Alsace, nantis d'instructions précises et sûrs de la confiance du Comité. Dès leur arrivée, Saint-Just et Le Bas donnèrent l’ordre à Hoche de se concerter avec Pichegru pour décider une nouvelle offensive. Pichegru étant considéré par eux comme le général en chef des deux armées du Rhin et de la Moselle.

Le 3 nivôse (23 décembre), Hoche remporta sur les Prussiens le combat de Freschweiller. Ce fut le lendemain qu'il reçut sa nomination de général en chef des deux armées réunies du Rhin et de la Moselle. Le 6 nivôse (26 décembre), il remporta, sur les Autrichiens, le combat de Geisberg. Une à une les redoutes des bords du Rhin furent enlevées. Saint-Just et Le Bas assistèrent à ces assauts. Ils y participèrent et se battirent comme les soldats. L'entrée dans Wissembourg fut triomphale. Le 7 nivôse (27 décembre) nos troupes entrèrent dans Landau. L'Alsace était sauvée. Le déblocus de Landau mit fin à la mission de Saint-Just et de Le Bas. En deux mois et demi, ils étaient parvenus à rendre au peuple alsacien le sentiment de sa dignité et de sa force. Cette mission constitue la phase la plus glorieuse de la vie publique de Saint-Just.

Le 3 pluviôse (22 janvier 17994), Saint-Just fut encore chargé de se rendre à l’armée du Nord pour prendre connaissance de l'état de l'armée et pour surveiller particulièrement la situation des villes de Lille, de Maubeuge et de Bouchain. Cette mission n'eut qu'une courte durée. Le 25 pluviôse il était de retour à Paris. Le 1er ventôse, Saint-Just fut élu président de le Convention. Le 23 ventôse, son intervention à la tribune entraîna la chute des Hébertistes. En germinal, il échafaude un rapport aussi inepte que criminel contre Danton et ses amis qui furent condamnée à mort et exécutés le 16 germinal an II (5 avril 1794). Le 10 floréal (29 avril), il fut envoyé, avec Le Bas, à l'armée du Nord. Dès leur arrivée, les représentants prirent de sévères arrêtés en vue d'imposer au plutôt une rigoureuse discipline. Saint-Just s'empresse de rappeler à l'armée qu'il voulait « fortifier la discipline qui fait vaincre. »

Quelques jours après, il insiste encore sur cette nécessité : « La discipline, proclame-t-il, sera soutenue dans l'armée par toute la force des lois » et, pour mieux commenter cette pensée, l'ordre général du 23 floréal (12 mai), précise dans toute sa violence : « Le temps de l’impunité, est passé ; une discipline sévère et républicaine va être établie dans l'armée. Que les traîtres, que les lâches tremblent. De justes châtiments s'apprêtent. Plus de grâces aux coupables ! » Renouvelant les mesures draconiennes qui avaient sauvé l'armée du Rhin en 1793, Saint-Just, convaincu que la « 'discipline doit être ramenée par des moyens plus prompts et plus sévères, arrête que le tribunal de l'armée du Nord jugera sans être astreint à la formalité du juré. » (21 floréal an II - 10 mai 1794). Tout en agissant par la terreur, il cherche encore à convaincre la troupe de la nécessité inéducable de la discipline : « Soldats ! Nous vous rappelons à la discipline rigoureuse qui, seule, peut vous faire vaincre…Ceux qui provoqueront l'infanterie à se débander devant la cavalerie ennemie, ceux qui sortiront de la ligne avant le combat, pendant le combat, pendant la retraite, seront arrêtés sur l’heure et punis de mort. »

Saint-Just et Le Bas assistèrent aux premiers succès de l’armée. Le 6 prairial (25 mai), ils furent rappelés. Saint-Just rentra à Paris le 14, mais n'y resta que quatre jours et repartit, seul cette fois, pour l’armée. Le 28 prairial (16 juin), le 2e bataillon de la Vienne avait honteusement fui devant l'ennemi. Saint-Just, Gillet et Guyton arrêtent le 1er messidor (19 juin) que le chef de bataillon et tous les capitaines du second bataillon de la Vienne seront destitués et mis en état d'arrestation. Le 8 messidor (26 juin), du champ de bataille même, il annonça au Comité la victoire de Fleurus, avec ses collègues Laurent, Gillet et Guyton-Morveau. Le 11, il rentra à Paris.

Admirable aux armées, Saint-Just fut détestable à la Convention, singulier contraste qu’on ne peut attribuer qu'à l'influence néfaste de Robespierre. Cependant, il faut le dire, dans son terrible fanatisme révolutionnaire il fut sincère et toujours-un convaincu. Rentrez à Paris, il reprit se place au Comité de salut public. Mis en état d'arrestation le 9 thermidor avec ses amis Robespierre, Couthon et Le bas il fut exécuté le 10 thermidor (28 juillet 1794) vers 6 heures du soir. Il avait 27 ans.

Barère a dit de lui : « 'Saint-Just avait un talent rare et un orgueil insupportable. Il ne parlait que de la République et il avait un despotisme habituel...Il exécrait la noblesse autant qu'il aimait le peuple. »

Enfin Robert Lindet, dans des notes manuscrites relatives aux évènements du 9 thermidor, dit de lui : « 'Ce Saint-Just était l'une des têtes les plus despotiques de la Convention. C'était un homme froidement atroce et sanguinaire. »

A droite, Jean-Baptiste Milhaud, d'après le tableau de Louis David (Musée du Louvre). Édouard, Jean, Baptiste Milhaud naquit à Arpajon (Cantal), le 10 juillet 1766. Lorsque éclata la Révolution il était sous-lieutenant d'infanterie dans un régiment colonial. Commandant de la garde nationale d’Arpajon en 1791, il fut élu, l’année suivante, député du Cantal à la Convention où il siégea sur les bancs de la Montagne. Dans le procès de Louis XVI, il vota pour la mort, saris appel ni sursis. Le 13 avril 1793, il vota contre la mise en accusation de Marat. Envoyé en mission à l'armée des Ardennes, le 30 avril 1793, il fut nommé capitaine au 14e régiment de chasseurs à cheval, le 9 mai. Rappelé par décret de la Convention du 17 juin, il passe à l'armée du Rhin le 19 juillet. Il s'y montra d'une rigueur inflexible. Nommé chef d'escadron au 20e chasseurs à cheval, le 22 juillet 1793, il fut rappelé à la Convention le 16 brumaire an II (6 novembre 1793). Le 29 frimaire (19 décembre), il demanda la déportation de tous les contre-révolutionnaires. Le même jour, il fut envoyé avec Soubrany à l'armée des Pyrénées Orientales. Ils réorganisèrent les services, armèrent et équipèrent les troupes, et eurent leur part dans les succès remportés par cette armée sur les Espagnols. C'est à cette époque que Milhaud prit le prénom de Cumin et signa désormais Cumin Milhaud.

Au cours de cette mission, il commettra une action qui pèsera toujours sur sa mémoire : l’envoi au tribunal révolutionnaire du général d’Aoust, qui fut injustement condamné à mort et exécuté à Paris le 14 messidor an II (2 juillet 1794). Plus tard, Milhaud chercha à s’en disculper en prétendant que le général d’Aoust avait été transféré à Paris à son insu et que son intention était de le garder à Perpignan ; cela paraît peu probable. Sa mission prit fin le 9 fructidor an II (26 août 1794). Il devint aide de camp du général Châteauneuf-Randon et fut nommé chef de brigade au 5e dragons le 6 nivôse an IV (26 décembre 1795). Envoyé à l'armée d’Italie il ne cessera plus de combattre. Jusqu’en 1815. Il fut nommé général de brigade, le 15 nivôse an VIII (5 Janvier 1800), général de division, le 30 décembre 1806, comte de l'Empire, le 10 mars 1808 ; grand-officier de la Légion d'honneur, le 23 juin 1810. Il se distingua au passage de la Brenta, à Bassano (1796) ; Linz, Enns, Austerlitz (1805) ; Pasewalk (1806) ; Eylau, Königsberg (1807) ; Almonacid, Ocana (1809) ; Antequera (1810) ; Zeitz, Hanau, Sainte-Croix (1813) ; Saint-Dizier, Brienne, La Rothière (1814) ; Fleurus, Waterloo (1815). Après l'abdication de l’Empereur, il se rallia au roi Louis XVIII, qui le nomma inspecteur général pour l'organisation de la cavalerie dans la 14e division militaire. Aux Cent-jours, il retourna à Napoléon, qui lui donne le commandement du 4e corps de cavalerie (cuirassiers), se couvrira de gloire à Fleurus et à Waterloo. Mis en non-activité le 9 septembre 1815, et retraité le 18 octobre 1815. Frappé d'exil, le 12 janvier 1816, comme conventionnel votant, il obtiendra un sursis indéfini grâce à de puissantes influences. Admis au cadre de réserve le 7 février 1831, il mourut à Aurillac le 8 janvier 1833.

Successivement Montagnard, Jacobin et régicide en 1793 et 1794, bonapartiste sous l'Empire, comte en 1808, repentant sous la Restauration, brave soldat et militaire de grande valeur, Cumin Milhaud n'avait ni opinion ni caractère et peut parfaitement figurer en bonne place dans le « Dictionnaire des girouettes. »

Bibliographie :

Colin (J) - Campagne de 1793 en Alsace et dans le Palatinat. Paris.

Coutanceau (B) - La campagne de 1794 à l'armée du Nord. Paris 1903.

Kuscinski (Auguste) - Dictionnaire des Conventionnels.

Six (Georges) - Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire. Paris 1934.

 

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