Les légendes se forment avec une si grande facilité, que deux ans à peine s'étaient écoulés depuis le passage de Napoléon dans les Landes, qu'une de ces histoires était déjà répandue.

Se basant sur ce que des pasteurs landais, montés sur des échasses, avaient accompagné un moment la berline impériale, des officiers qui se rendaient en Espagne, et parmi ceux-ci nous pouvons citer Reiset, d'Espinchal et quelques autres, n'hésitèrent pas à affirmer que le département était si pauvre, qu'il s'était trouvé dans l'impossibilité absolue de former une garde d'honneur.
Nous allons démentir, au contraire, à l'aide de curieux documents inédits, que la cavalerie des Landes fut une des plus somptueuses et des plus magnifiques du célèbre voyage impérial de 1808. On nous pardonnera ces détails très techniques qui, s'ils ennuient quelques-uns de nos lecteurs, seront vivement appréciés par les collectionneurs de costumes militaires. Et on sait combien ces derniers sont devenus nombreux depuis un petit nombre d'années.
Ce qui avait été le plus délicat à constituer parmi les préparatifs faits par les Landes pour la réception de Napoléon, avait été l'organisation d'une garde d'honneur, car il fallait s y prendre assez à l'avance pour que cette garde, montée, équipée et habillée avec luxe, put s'exercer aux manœuvres et ne point paraître gauche devant ce général qui commandait la plus belle armée de l'Europe. La garde d'honneur des Landes fut donc constituée vers la fin du mois de décembre 1807, et un beau et élégant uniforme fut choisi par les autorités supérieures du département.
Les habitants des Landes mirent une telle hâte à se faire inscrire que les cadres de la garde d'honneur furent promptement remplis. Dans les premiers jours de janvier, une revue eut lieu à Tarnos, où il fut donné en l'honneur des nouveaux gardes une fête charmante à laquelle assistèrent trois officiers supérieurs qui se rendaient en Espagne. Le 10 janvier, une autre revue eut lieu à Mont-de-Marsan, et les gardes d'honneur de cette ville donnèrent à leurs camarades une fête qui se termina par un bal très brillant. Des réunions de ce genre durent avoir lieu successivement dans tous les chefs lieux du département. D'ailleurs l'objet principal était de faire manœuvrer avec plus d'ensemble les cavaliers composant la garde d'honneur.
« Une circonstance bien intéressante pour ce pays, dit un journal du temps, a rendu plus solennelle la réunion de la garde d'honneur dans la ville de Tartas ; le même jour du celte réunion, S. Exc. le Maréchal Moncey se rendait à Bayonne ; il eut connaissance du motif de ce rassemblement, et écrivit à cet égard à M. le préfet les choses les plus agréables sur le zèle de ses administrés; la garde d'honneur a été très sensible à cette marque de bienveillance, qui nous a tous dédommagés un peu de n'avoir pas vu M. le Maréchal séjourner dans un pays où il était attendu avec empressement, par suite des souvenirs qu il a laissés de son caractère pendant un commandement de l'armée des Pyrénées Occidentales, pourquoi ne dirait-on pas que dans des temps de malheur et de proscription, M. le Maréchal trouva dans notre département une terre amie et hospitalière. »
Le 14 janvier, il y eut a Saint-Sever une revue générale de la garde d'honneur. Tous les détachements s'y rendirent, et un magnifique banquet y fut servi. Le préfet y assista ainsi que plusieurs fonctionnaires, et après des toasts nombreux, un garde d'honneur chanta des couplets vivement applaudis et, comme le dit le style de l époque, « analogues à la circonstance ». Ils avaient été faits par M. de Dussey de Leyris, ancien capitaine de chasseurs à cheval.
Le 24 janvier, ce fut le tour de la ville de Mont-de-Marsan à fêter la garde d'honneur à cheval des Landes. Il y eut, comme pour les revues précédentes, un banquet, avec ce détail que la salle de la fête avait été décorée d'un transparent représentant l'Empereur, et où se trouvait l'inscription :
Vainqueur partout,
Adoré parmi nous.
Il y eut toasts, couplets et bal, et on apprenait en même temps que la ville de Saint-Esprit qui, à cette époque, faisait partie du département des Landes, fournirait, de son côté, une garde d'honneur à pied composée de 80 hommes, et qui avait été placée sous le commandement du docteur Chevillon. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler plus en détail. Les gardes d'honneur des Landes furent placés sous le commandement général de M. de Pinsun.

Voici maintenant la description exacte des uniformes et de l'équipement de la garde d'honneur des Landes. Nous devons la communication de ces précieux documents à l'aimable et savant M. Teulet, archiviste de département, a qui nous sommes heureux d'exprimer ici toute notre reconnaissance. Ces renseignements ont d'autant plus d intérêt qu'il n'existe aucune gravure ou représentation figurée de ces uniformes qui ne servirent que si peu de jours.
Le cheval devait avoir 4 pieds 6 pouces au moins et 9 pouces au plus. La chabraque de drap vert dragon, garnie tout autour en drap chamois, posé à plat, de la largeur d'un pouce et demi, avec deux coins où était brodé en soie ou en coton chamois une N. La chabraque devait être taillée de manière à pouvoir placer le manteau sur le devant du cheval, ce qui donnait aux selles une forme égale approchant de celles des hussards, sans palette sur le derrière. Bride à filet, boucles carrées argentées et bossettes unies. Bottines au dessus du mollet, plus hautes du devant que du derrière, talon haut de dix lignes pour placer les éperons qui doivent y être cloués. Le rebord de la bottine garni d'une petite tresse et d'un galon noir.
L'habit en forme de surtout, drap vert dragon, sans revers, collet et parements chamois ; retroussis brodé en soie ou coton chamois figurant une étoile à cinq pointes, circonférence de dix-huit lignes. Gilet de drap ou de casimir collant chamois. Pantalon du même drap que l'habit, sans garnitures, boutons blancs bombés comme les hussards et les chasseurs. Chapeau claque gansé en or, cocarde à bord d'argent. Plumet vert surmonté d'une touffe chamois.
l'armement et l'équipement se composaient d'un sabre de chasseur, garniture argentée du haut en bas, dragonne jaune ; ceinturon vert, à deux branches, pour porter le sabre trainant. Gants en buffle à l'écuyère.
Les trompettes avaient l'habit bleu de ciel, la culotte écarlate.
Le département des Landes ne devait pas s'en tenir là, et ne fut s'en doute pas satisfait de l'uniforme qui servit pour le passage de Napoléon en 1808, car le 28 octobre 1809 et comme on attendait encore l'Empereur qui devait traverser le département pour se rendre à nouveau en Espagne, un autre uniforme fût décidé, plus beau encore que celui de l'année précédente, mais qui ne servit pas, car, ainsi qu'on le sait, Napoléon n'alla pas en Espagne, où il se fit remplacer par Massena. Le nouvel uniforme est décrit de la manière suivante : Habit frac en drap vert dragon foncé, doublure du même drap. Collet, parements et revers en drap cramoisi. Hauteur du collet, 7 centimètres (2 pouces 7 lignes). Deux agrafes au collet et trois au revers ; les parements et les revers terminés en pointe. Boutons blancs de hussards, 3 petits boutons à chaque revers, 2 petits boutons à chaque manche, 2 gros boutons au bas de la taille. Gilet veste en casimir blanc, avec un rang de boutons à la hussarde. Pantalon en drap vert pareil à l'habit, avec un liseré cramoisi sur les coutures extérieures. Trèfle simple en cordonnet cramoisi. Aiguillettes blanches en coton. Chapeau retapé. Glands en argent, cocarde et ganse en argent, panache blanc.
Chabraque en drap vert, garnie d'une bande de drap cramoisi de trois doigts de largeur et découpé dans le bas en dent de loup. La lettre N brodée en blanc aux deux pointes de la chabraque. Gants de chamois à la crispin, bride à la française, mors plaqué, sabre à fourreau blanc et ceinturon vert trainant.

Mais comme s'il n'y eut pas là une assez grande variété d'uniformes, dans cette même séance du 25 octobre 1809, les autorités administratives des Landes décidèrent la formation des Voltigeurs de la Garde d'honneur, dont le costume fut ainsi arrêté :
Veste à la hussarde en drap vert dragon foncé, fourrure gris clair, liseré en soie blanche sur les coutures de la veste. Brandebourgs en soie blanche. Boutons blancs, gilet en casimir blanc, trois rang de boutons ; ganse en soie cramoisi, pantalon en drap cramoisi, liseré blanc sur les coutures extérieures. Trèfle à double noeud en soie blanche. Ancien bonnet de hussard couleur vert et cramoisi, panache blanc. Bottes à la hussarde, avec les bordures en blanc. Eperons de Bronze attachés aux bottes. Petite giberne et baudrier rouge avec bordures blanche. Aigle en plomb blanchi sur la giberne. Sabretache fond vert garni en blanc, la lettre N bordée en blanc au milieu. Sabre à fourreau blanc. Ceinturon vert trainant. Selle bride et licol à la hussarde. Fontes de pistolets. Chabraque en drap vert dragon, garni d'une bande de drap cramoisi de trois doigts de largeur et découpée dans le bas en dent de loup. La lettre N brodée en blanc aux deux pointes de la chabraque.
Les officiers et sous-officiers de la garde d'honneur des Landes étaient les suivants :
- de Pinsun, commandant ;
- de Capdeville, capitaine ;
- de la Teulade, lieutenant ;
- Cadiry, lieutenant ;
- de Navailles ;
- de Dauzade et Bacleau, sous-lieutenant ;
- Lesacman Clasun, porte étendard ;
- Dubroca, adjudant-major ;
- Du Casse Gontaud, maréchal des logis ;
- Telli, idem ;
- Damar et Sobgeois, brigadiers.
On voit qu'il y a loin de cette troupe d'élite, commandée par les fils des principales familles du département avec les grossiers pasteurs des Landes, montés sur des échasses et suivant sans se fatiguer les chevaux de la berline impériale.
Nous terminerons en disant que M. Lasaye, un des gardes d'honneur natif de Mugron, fut nommé par Napoléon sous-lieutenant au 89e régiment d'infanterie. Il avait accompagné l'Empereur de Mont-de-Marsan à Tartas, lors du passage du souverain à Bayonne.